28/05/2015
Violette Leduc : La Vieille fille et le mort
Violette Leduc (1907-1972) est une romancière française. Fille illégitime de Berthe Leduc et d’André Debaralle, un fils de famille de la haute bourgeoisie de Valenciennes qui refuse de reconnaître l'enfant, elle est marquée par la honte de sa naissance. Une vie difficile et scandaleuse pour l’époque, des liaisons homosexuelles, un court mariage ou des amours masculines sans retour car ce sont eux-mêmes des homosexuels, un avortement où elle manque mourir. En 1939, elle est secrétaire pour la Nouvelle Revue Critique, en 1942 elle commence à écrire des souvenirs d’enfance. En 1945, présentée à Simone de Beauvoir elle en tombe amoureuse et la compagne de Sartre qui reconnait immédiatement son talent, la soutiendra toute sa vie. En 1964 elle frôle le Goncourt pour son roman La Bâtarde, une fiction autobiographique. Violette Leduc a fait de sa vie la matière principale de ses livres, ce qui en fait une des pionnières de l’autofiction. La Vieille fille et le mort, paru en 1958, vient d’être réédité.
Dans un petit bled de province, mademoiselle Clarisse tient un de ces petits commerces qui font café-épicerie-mercerie. Un samedi soir, à l’heure de la fermeture et qu’aucun client ne traine alentour, Clarisse découvre un homme mort au milieu de la salle du café. Un inconnu, arrivé ici on ne sait comment. Clarisse, vieille fille de cinquante-quatre ans, « Les hommes ne m’ont pas fait vieillir. Je les aimais d’amitié sans en aimer aucun », épuisée de solitude, voit ce mort comme une chance pour elle : « Il était temps que quelque chose arrive »
Toute la soirée elle va s’inventer une vie avec cet homme tout en réparant ses chaussures ou lavant ses pieds et le col de son imperméable. Leur intimité n’étant troublée que par les arrivées d’un gamin souvent laissé seul par ses parents et qui trouve chez Clarisse un refuge accueillant, du commis voulant absolument boire une dernière bière avant d’aller se coucher ou de la vieille et suspicieuse madame Lambris venue acheter un métrage de ruban.
Le roman est très court, d’une écriture singulière qui place Violette Leduc dans la catégorie des écrivains exigeants. Et si le titre de l’ouvrage, à la Simenon, pourrait évoquer une sorte de polar, il n’en est rien évidemment. Il s’agit d’un texte à la beauté poétique et émouvante, unité de temps (une nuit) et de lieu (le petit commerce) où quelques solitaires tentent désespérément de trouver une compagnie. Clarisse poussant cette quête aux limites du sensé en voulant arracher au mort un souvenir qui puisse enluminer le reste de sa propre vie.
« Elle alluma dans le café pour revoir et pour vérifier, elle éteignit. La lumière était cruelle. Elle l’hébergeait, elle lui devait de l’intimité. IL était mort, ce n’était pas une raison pour sonner le tocsin. Il l’avait presque choisie en choisissant sa maison. Il ne se reposait pas aux environs du silo, la plaine avec le vent entrant par les trous de ses chaussures ne glaçait pas ses chevilles. « Ah non ! » dit tout haut Clarisse. Elle le dérobait aux rafales, aux coups de vent. La respiration est capricieuse. Un estivant qui venait en vacances dans le village, qui décousait et recousait les morts dans les amphithéâtres le lui disait. Elle lui a repris les pieds de la table. Il le lui reprochera s’il s’éveille. On le fouillera, on cherchera ses papiers. On ne lui essuiera pas le filet de sang si elle le déclare. »
Violette Leduc La Vieille fille et le mort Gallimard L’Imaginaire – 97 pages –
Parution prévue le 29 mai 2015
07:57 Publié dans Français | Tags : violette leduc | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |